Je fais la promotion des séries états-uniennes à longueur de journées. Je participe activement à entretenir cette idée – difficilement contestable – que la production américaine (du câble essentiellement) est un cran au dessus du reste du monde (maj : de ce qui parvient jusqu’à nos petits écrans et jusqu’à mes yeux tout du moins ) – seuls les plus fervents défenseurs de la télé britannique pourraient me contredire sans mauvaise fois. Je suis en même temps pour la diversité culturelle, contre toute hégémonie d’Hollywood sur le reste de la planète séries. Position compliquée, je l’admets. Je m’indigne ainsi de la diffusion confidentielle – voire de la non diffusion – chez nous de certaines des meilleures séries américaines, tout en regrettant que les productions françaises n’aient pas une meilleure exposition. Symbole de cette position complexe, je me suis récemment découvert une aversion de principe contre les remakes d’œuvres européennes outre-Atlantique. Ma réaction, instinctive, partait d’un « pourquoi refaire une série qui est satisfaisante dans sa version originale ? » Avec un peu de recul, j’ajouterai ceci : les remakes sont des formatages, des uniformisations reniant la richesse d’œuvres originales pour « américaniser » tout ce que l’étranger sait faire de mieux qu’Hollywood.
Loin de moi l’idée de défendre un quelconque concept « d’identité culturelle », notion vomitive dans tout ce qu’elle sous-entend d’hortefien et de bessonien, mais une série doit beaucoup à ses origines, à ce qu’elle dit d’un pays, de son peuple, de ses traditions, de sa culture. Depuis la langue dans laquelle elle est écrite et interprétée jusqu’aux musiques qui y figure, elle est un formidable transmetteur culturel, un moyen puissant de découvrir l’Autre, de sortir de son monde pour comprendre celui de son voisin. Notre vision de l’Amérique doit beaucoup à Hollywood, à la télé, à la musique. Cette vision-là n’est pas réaliste, mais ses fantasmes et ses mensonges sont révélateurs de l’âme américaine. Dr Who dit quelque chose de l’esprit britannique, Dragon Ball témoigne, à sa façon, de la culture japonaise – ne riez pas.
A s’acharner à « refaire » les séries qui fonctionnent à l’étranger, les Américains offrent une preuve criante de leur protectionnisme et de leur fermeture d’esprit*. Plutôt que de prendre le risque de surprendre, de découvrir, de comprendre ce qui a pu faire d’une œuvre un succès dans son pays d’origine, ils préfèrent en reprendre l’ossature, le corps, abandonnant son âme. Pire, non content d’en repiquer le concept – souvent brutalement, sans véritable réappropriation – ils osent annoncer ces remakes comme des « séries originales. » C’est parier sur l’ignorance de téléspectateurs pour qui l’Europe est un lointain continent, pour leur faire croire que ce qu’ils vont voir est un produit 100% américain.
Certes, toute réécriture débouche sur une nouvelle œuvre, qui aura sans doute une vie à part entière, dont les personnages trouveront progressivement leur identité, etc. Le remake n’est pas un exercice totalement vain, mais il n’y a que la critique et les universitaires pour se pencher sur ce qu’il dit des différences culturelles et sociales entre les Etats-Unis et le reste du monde. Le téléspectateur, lui, oubliera rapidement l’origine de la série qu’il regarde – s’il en a seulement eu connaissance un jour – validant alors une parfaite « intégration » d’une œuvre étrangère dans la culture américaine. Où l’on en revient à une vilaine métaphore politique : les remakes ne seraient-ils pas une forme « d’intégration » par la désintégration des diversités, un formatage au détriment des singularités. Un appauvrissement culturel. Qu’Hollywood pique les idées venues de l’étranger, soit. Mais alors sans en garder les titres, sans revendiquer de « refaire » à sa sauce, en défaisant ce qui était très bien « fait » ailleurs.
* A noter que BBC America diffuse outre-Atlantique certaines séries britanniques, celles de la BBC.
Image de Une : Shameless US.